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Présidentielle en Roumanie: un hideux visage de la vérité

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La Roumanie, mélange des mondes parallèles, un monde où la combinaison Jekyll-Hyde est possible, comme la corruption et le désir de vérité, n’est plus un pays à vivre. Pour Daniela Ratiu, écrivain publiant ses éditos dansEvenimentul Zilei, l'élection présidentielle de ce dimanche 2 novembre, est seulement une autre face hideuse de la société.

Les croisades n'ont cesse de défiler dernièrement dans l'espace public au nom de la vérité. Il s'agit en fait de la misère d'une société sur laquelle on jette un voile aux couleurs du drapeau. Les désenchantés ne veulent pas y toucher, par contre, à cette misère, et toutes les leçons non-apprises du passé ont explosé aujourd'hui, pendant la campagne électorale, dans l'espace public : la lutte entre des anciens de la Securitate; la gangrène du système politique et la lutte pour le contrôle total de la Roumanie. Securitate, police secrète, chantage. La non-réforme de la société, la léthargie combinée à la nostalgie comunistoïde, à la volupté du désastre - symptômes tardifs d'un syndrome de Stockholm. Un espace public vicié, empoisonné par des luttes politiques qui violent tous les principes. La campagne pour l’élection présidentielle du 2 novembre ne vise plus le fauteuil du palais Cotroceni [siège de la présidence roumaine], c'est une guerre entre le contrôle démocratique, le fonctionnement de la Roumanie entre les limites de la démocratie, et l'État de l'ombre, tapi dans les recoins du Pouvoir, le système politique-mafieux-Securitate. L'autre gouvernement de la Roumanie.

La Roumanie vient de vivre une campagne présidentielle bien hideuse. Si l'on regarde en arrière, on a l'impression que toutes les autres étaient naïves, et que la bataille en est maintenant au même point qu'endécembre 1989 [après la chute du président communiste Nicolae Ceausescu]. L'ancien système contre le nouveau système. Il n'y a pas de chars dans les rues, ni des soldats hébétés, mais un enfer politique qui se déchaîné dans l'espace public. L'opinion publique, simple spectateur, s'est laissée gagner par la haine, la volupté du mal la fait jouir en public. L'obscénité a atteint des quotas alarmants, signe de la crise morale d'un peuple qui encaisse les coups. Qui se tait. Qui ne fait que gémir doucement. Qui ne demande pas de comptes. La douleur est une drogue.

Ce pays fait mal. Ils veulent nous piétiner ? Personne ne dit rien.

Personne ne sort dans la rue, les gens restent devant leurs télés pour recevoir leur dose quotidienne de plaisir.

Là-bas, l'on ne sort dans la rue que pour le spectacle, s'il y a l'occasion de jeter des tomates et des œufs pourris et s'il est possible de crier "A mort" contre quelqu'un. Ils veuillent nous annuler en tant que citoyens ? Ils veuillent utiliser les institutions de l’État pour un usage privé ? Ils veuillent prendre le contrôle total de la Roumanie ? Ils veuillent voler jusqu'au dernier clou dans ce pays ? Personne ne dit rien. Nous votons pour eux. C'est la vérité sur nous: nous nous en fichons.

Les fans de la série Seinfeld savent que George le névrotique dit à un moment: Do you want the truth ? Can you handle the truth ? (en anglais, dans le texte). Ceci est la vérité sur nous. Nous nageons en plein cauchemar dystopique. Nous avons un appareil de propagande qui nous pousse constamment à adorer le nouveau Pouvoir. Celui qui ne se soumet pas a droit au lynchage médiatique, la version postmoderne de la flagellation sur la place publique. Derrière le Pouvoir, le vrai système qui met au point les derniers détails de la passation complète des rênes ne se limite pas à la télé ou Internet, mais voilà qu'il fait chanter, menace, corrompt.

Le cas Robert Turcescu [influent journaliste qui vient de reconnaître son passé de agent infiltré] est le parfait exemple du grippage du système. Si en effet il était un officier sous couverture, peut-être a-t-il cru que, en s'infiltrant dans entrailles du système il arriverait à le bloquer, à le changer, lui et d'autres. Peut- être le sentiment de pouvoir l'a-t-il fait franchir la ligne rouge. Seulement au cours des deux dernières années nous assistons à une Restauration, à une Restauration brutale. Nous assistons anesthésiés à la fiction intitulée "Politique" en Roumanie, alors qu'il s'agit en fait du Cartel politique.

La corruption est élevée par le Parti Social-démocrate au rang de politique officielle, et les valeurs démocratiques sont foulées aux pieds, sous les applaudissements de la foule. Parce que nous ne voulons pas la vérité sur nous-mêmes. Dans tout ce sombre tableau de cauchemar dans lequel nous végétons dénués de réaction, le double Commandement de la Roumanie est la nouvelle politique d'état. Les îlots de résistance qui se sont renforcés au sein d'institutions comme le Direction Nationale Anti-corruption, l'Agence Nationale pour l’Intégrité, dans l’Éducation, la Culture, la Santé et d'autres sont harcelés sans relâche et infiltrées. La presse est soumise à des pressions financières, mise à genoux, infiltrée pour être minée de l'intérieur.

Indifféremment des développements futurs de l'affaire Turcescu, la presse aura été déshonorée. La presse est la projection de la société toute entière. Un champ de bataille déserté. Quelques idéalistes de service tentent de se rassembler, pour reprendre la redoute. L'écrivain Mircea Cărtărescu publiait en 2004 un texte d'anthologie "Baron !". Le texte est aujourd'hui d'une telle actualité qu'il donne la chair de poule. Aujourd'hui, Mircea Cărtărescu ne croit plus dans la bataille. Et poste un message sur ma page Facebook écrivant que "Dans mon cas, par contre, le passé doit rester le passé. Je ne m'impliquerai plus dans la politique, parce que je ne crois plus, chez nous, dans des causes méritant d'être défendues". [L’écrivain avait signé auparavant des articles considérés comme étant orienté pro-Basescu, ce qui lui a valu d’être mis au pilori par une partie de la presse]. "Il n'y a ni corsi, ni ricorsi dans l'ardent Orient/ Mais soudain les deux, ensemble, un tissage absurde, dément", j'écrivais jadis. Voici l'affaire Turcescu. Dans le livre de Kurt Vonnegut, "Nuit noire", on lit l’histoire d'un animateur de radio du temps d'Hitler, faisant l'apologie du national-socialisme, mais en même temps transmettant des informations codées aux Alliés.

Je ne peux pas et je ne veux pas fonctionner dans un monde où la combinaison Jekyll-Hyde est possible. Et si la Roumanie était Jekyll et Hyde ? Comment pourrions-nous rétablir sa santé mentale ? Si nous l'abandonnons tous, continuant à y habiter, alors qui est Jekyll et qui est Hyde ? 

*Photos: Parlement roumain, symbole de la mégalomanie de Ceausescu, qui voulait construire le plus haut bâtiment de l'Europe. / Drapeau de la Révolution roumaine, gardé au Musée Militaire de la Roumanie

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