Ana Munteanu et la beauté de l'art éphémère, par Iulia Badea-Guéritée

En admirant ses créations, si irréelles qu'elles ne semblent exister que dans un rêve, j'ai réalisé que la première question que je voudrais poser à Ana Munteanu avait trait à l'orgueil du créateur. A la possession et la propriété de l'œuvre, qu'il crée, certes, mais qu'il ne peut transmettre, léguer, que dans l'absolu, le temps d'une sensation. D'une image. D'une étoile filante.
Comment conciliez-vous le désir d'impressionner la mémoire de ceux qui vous rencontrent, par ce que vous créez, avec l'évidence de leur pérennité ? Ce qu'on empreint dans le sable ne dure qu'un instant...
Et c'est probablement la chose la plus importante qu'un artiste veut offrir au spectateur. Ces images, comme un tout, suggèrent tellement plus que chacune à part... Chaque histoire est particulière et spéciale pour moi et, je l'espère, aussi pour le public.
Accordez-vous plus d'importance au sentiment éphémère, ressenti par quelqu'un pour un instant, une seconde, intensément, qu'à la satisfaction qu'offre la sereine contemplation d'une œuvre d'art ?
J'ai l'expérience de la peinture à l'huile, sur chevalet, qui fut mon premier amour, et je sais ce que cela fait lorsque quelqu'un possède une de mes peintures, de même que je sais ce que c’est d'avoir un spectateur juste en face de moi. Qui regarde ce que je lui transmets par dessins, qui reçoit directement le message. C'est différent, c'est spécial, je peux lui présenter sous une forme beaucoup plus vaste les pensées que je veux lui faire passer.
D'où vient cette passion pour les histoires racontée dans le sable ?
J'ai toujours répondu aux défis. Il y a quatre ans, j'ai été mise au défi de faire des dessins dans le sable dans le cadre d'un projet. Je ne savais pas si cette technique était pratiquée par quelqu'un d'autre en Europe ou même dans le monde. Je l'ai essayée et j'en suis tombée amoureuse, ainsi je communique directement avec le public, à travers des dessins et ce que je transmets, sans prononcer un seul mot. Il m'est beaucoup plus aisé de transmettre non-verbalement.
La Moldavie n'a pas de débouché sur la mer, d'où prenez-vous le sable ?
Pour utiliser cette technique, il n'y a pas une formule spécifique de sable, donc j'ai forgé avec le temps les matériaux avec lesquels je travaille, ma table, mon verre, mes lumières, j'ai coloré le sable et je l'ai choisi en fonction de mes mains, donc celui que je pourrais manipuler le plus aisément. C'est un sable utilisé dans la médecine, dans la stomatologie. Le sable de plage ? C'est par celui-là que j'ai commencé. Mais le grain était trop épais, rien ne sortait comme je le voulais. Parce que les détails et la fidélité des images sont très importants pour moi. Il est très important que l'être humain voie l'expression du visage, voir la larme s'écouler au long du visage puis cette larme se transformer en un sourire. Et pour cela j'avais besoin d'un grain très fin, et je l'ai trouvé. Quel grain exactement, secret professionnel!
Avez-vous déjà eu l'occasion de combiner les histoires dans le sable avec la poésie et la musique classique, comme vous le ferez pour le spectacle mis en scène par Mihai Tarna ?
C'est la première fois que nous combinons pratiquement tous les arts dans un spectacle unique. Je suis très heureuse de pouvoir le faire, heureuse de retrouver à Paris des gens doués de la même sensibilité artistique. Que ce soit avec le metteur en scène Mihai Tarna ou bien Liliana Roşca (de l'ICR de Paris), même si je ne les connaissais pas, même si nous n'avons communiqué que par téléphone et e-mail, j'ai senti qu'ils me comprenaient et que je les comprenais. Parce que je ne crois pas qu'un scénario comme celui créé par Mihai Tarna aurait pu être créé par quelqu'un d'autre.
Qu'est-ce qui vous inspire ?
Ce qui m'inspire le plus est l'être humain lui-même. Je ne pense jamais à quelqu'un en particulier parce ne dédie pas mon œuvre à un seul homme. Mais à l'Homme en général, au comportement humain, aux valeurs spirituelles humaines, aux conséquences du comportement humain, parce que parfois c'est mieux de regarder un spectacle et de comprendre que certaines choses méritent d'être choyées, de rentrer chez soi avec un message qui aide à mieux vivre, à aimer plus son prochain, sa culture, son pays, tel est mon but.
Si vous ne deviez représenter dans le sable qu'un seul mot, ce mot que vous répétez souvent, Amour, comment le représenteriez-vous?
Amour ? Ce mot m'a donné beaucoup de fil à retordre. Il y eut une époque où je le représentais par un cercle, dans lequel on voyait deux profils, lui et elle, qui, par ce cercle, le symbole de l'infini, formaient un tout, un entier. D'autres fois, l'amour est une mère qui enlace son enfant. Ou un très beau paysage, spécifique à notre culture.
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